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Jean-Louis Heudier
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Blanqui, L’éternité par les astres
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Rencontre de la Pensée Critique du 11 février 2016 :

 
Jean-Louis Heudier commence par cette citation de Blanqui, extraite de La patrie en danger, écrit en plein siège de Paris : « Un peuple est ce que l'a fait son enseignement, et ne solde qu'avec la monnaie en circulation. Nourri d'absurde, il rend l'absurde, et lui demander autre chose c'est exiger des pêches d'un mancenillier » Texte qui montre que Blanqui, comme beaucoup de penseurs de son temps, accordait une grande importance à l'enseignement.

En 1832 déjà, Blanqui écrivait : « Oui, messieurs, c'est la guerre entre les riches et les pauvres. Les riches l'ont voulu ainsi. Ils sont, en effet, les agresseurs. Seulement, ils considèrent comme une action néfaste le fait que les pauvres opposent une résistance. Ils diraient volontiers, en parlant du peuple : cet animal est si féroce qu'il se défend quand il est attaqué »

Idée merveilleusement illustrée par Victor Hugo dans Mélancholia :
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
O servitude infâme imposée à l’enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu’a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c’est là son fruit le plus certain ! -
D’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l’homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l’on s’abâtardit,
Maudit comme l’opprobre et comme le blasphème !
O Dieu ! qu’il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux !

En 1870, année terrible, il se passe beaucoup de choses :
12 janvier : assassinat et enterrement de Victor Noir
14 août : tentative de récupération des armes. Échec.
19 septembre : début du siège de Paris.
31 octobre : occupation de l'hôtel de ville.

Le 9 mars 1871, le siège est terminé, Blanqui est condamné à mort par contumace. Il se trouve alors - comme Hugo d'ailleurs - du côté de Bordeaux où siège le gouvernement. Le 18 mars, jour où la Commune est proclamée, Il est arrêté aux environs de Cahors, chez son médecin ; interné a Figeac d'abord, puis à Cahors ; et, finalement, transféré le 24 mai au fort du Taureau, où il est mis au secret, avec deux sorties d'environ 45' par jour, aux cours desquelles il n'a pas le droit de... regarder la mer.

Il se lance immédiatement - dès le 28 mai - dans une opération folle : l'écriture de L'éternité par les astres, traité sur l'univers. L'astronomie l'intéresse depuis tout jeune. Son père était professeur d'astronomie (et de philosophie) dans ce qui n'était pas encore le lycée Masséna. Il a avec lui un certain nombre d'ouvrages importants, dont les traités de Laplace (que le père d'Auguste Blanqui avait sans doute rencontré). Il écrit, il écrit, il écrit ; et pour être certain de pouvoir transmettre ce qu'il écrit, il recopie ce qu'il écrit sur des petits bouts de papier, en plusieurs exemplaires, avec une écriture très très fine. Les promenades du matin et du soir mises à part, Blanqui consacre tout son temps dans son cachot à cette tâche, ne parlant à personne. Il lit. Il écrit.

Il est intéressant de regarder ce que contient ce petit livre d'une soixantaine de pages. Il commence par des généralités sur l'infini et par cette citation de Pascal : « L'univers est un cercle [Pascal dit en fait : sphère] dont le centre est partout et la circonférence nulle part. » Quelle image plus saisissante de l'infini ? Et Blanqui, qui ne pouvait pas voir les étoiles au fort du Taureau, mais qui les avait bien observées tout au long de sa vie, se demandait ce que l'on voit quand on lève la tête : où cela s'arrête-t-il ? Et plus on se demande où cela s'arrête, plus on comprend qu'il y a quelque chose qui ne colle pas. « L'univers infini est incompréhensible, écrit-il, mais l'univers limité est absurde. Cette certitude absolue de l'infini te du monde, jointe à son incompréhensibilité, constitue une des plus crispantes agaceries qui tourmentent l'esprit humain. Il existe, sans doute, quelque part, dans les globes errants, des cerveaux assez vigoureux pour comprendre l'énigme impénétrable au nôtre. » Nous avons donc un problème d'intellect. Blanqui reprend là cette idée de Giordano Bruno que nos sens nous trompent. Ce n'est pas à partir de notre sensibilité que nous pouvons comprendre l'univers, mais à partir de notre intelligence, ce qui est beaucoup plus compliqué. Se posant le problème de l'indéfini, Blanqui tente de justifier la valeur des grands nombres et se lance dans un grand nombre de calculs ; il essaie de mettre des mots compréhensibles sur des valeurs incompréhensibles ; tâche dont Jean-Louis Heudier illustre spectaculairement la complexité en faisant observer que compter un milliard de secondes demande... environ trente ans. Blanqui pointe le fait que nous n'arrivons pas à définir correctement les grandeurs que nous sommes amenés à utiliser.

Blanqui explore ensuite une question assez neuve à son époque, celle de la distance des astres. La distance de la Terre au Soleil a été mesurée 200 ans plus tôt, en 1672 : 33.000.000 de lieues. En 1838, la distance de la 61è étoile du cygne a été mesurée : 10 années-lumière (à comparer avec la lune [1,14s], le soleil [500s], Saturne [1h] et quelques années pour les étoiles les plus proches). Le problème que posent ces nombres énormes, c'est qu'on ne peut pas avoir une vision instantanée de l'univers, même proche ; il y a toujours un décalage.

Autre centre d'intérêt de Blanqui : la constitution physique des astres. Que contiennent-ils ? On sait à peu près ce qu'il y a dans la Terre, mais dans le Soleil on ne sait pas. Newton avait commencé à décomposer la lumière du Soleil et on avait découvert qu'elle comportait toutes les couleurs. En 1804, Joseph von Fraunhofer met en évidence des raies sombres dans le spectre de la lumière solaire. Gustav Robert Kirschhoff expliquera leur présence quelques années plus tard, en 1859 : elle sont la signature de la présence de corps simples, les mêmes que ceux que l'on peut manipuler en laboratoire sur Terre. Ils ne sont pas à la même température, mais ce sont les mêmes éléments. À la même époque (1869), Mendeleev publie la classification périodique des éléments.

Mais Jean-Louis Heudier n'oublie pas le siège de Paris. Siège terrible, très dur. Des personnes parviendront à s'exfiltrer de la ville assiégée par la voie des airs, grâce aux ballons. La poste aérienne est d'ailleurs née dans ces circonstances. Le 2 décembre, un de ces ballons, le Volta, emmène une seule personne, un très grand astronome, Jules Janssen. En plein siège, on continuait donc à faire de la science ! Janssen veut observer une éclipse de Soleil, prendre des mesures spectrales du Soleil éclipsé. Et il découvre quelque chose d'extraordinaire : dans le spectre du Soleil, il y a des raies qui ne correspondent à aucun corps connu dans les laboratoires sur Terre. Ses observations seront confirmées par des américains. Le Soleil n'est donc pas tout à fait comme la Terre. À ce corps que l'on vient de découvrir, on donnera tout simplement le nom du soleil : hélium. On en est alors à une soixantaine d'éléments connus. Au même moment, Blanqui qui, dans son cachot, n'est pas au courant de cette découverte, parle d'une centaine d'éléments. La suite des événements lui donnera presque raison, puisqu'on dénombre actuellement 113 éléments. Leur origine a pu être identifiée il y a très peu de temps : les plus simples (hydrogène, hélium, lithium, béryllium) naissent avec l'univers au moment du big bang, tous les autres - sauf les éléments radioactifs de la fin de la classification - sont fabriqués dans les étoiles.

Blanqui s'attaque ensuite, dans un très long chapitre, à la cosmogonie de Laplace. Un problème est central au début du XIXè siècle : celui des comètes. On ne sait depuis 1759 qu'elles font partie de la famille du Soleil. François Arago, astronome et homme politique contemporain de Blanqui, découvre qu'il y a de la poussière dans les têtes de comètes. Des savants vont prendre leur spectre et on va découvrir qu'elle contiennent des gaz connus sur Terre, mais dans des proportions tout à fait différentes. En particulier, on trouve du cyanogène. Les comètes, qui faisaient peur quand on ne savait pas grand-chose sur elles, vont continuer à faire peur quand on va commencer à savoir beaucoup plus de choses sur elles ! Et Jean-Louis Heudier, qui ne laisse jamais échapper une anecdote plaisante, signale que le roman de Jules Vernes sur les comètes, Hector Servadac, est une anagramme de Torche cadavres...

Blanqui, qui lit et médite ce qu'a écrit Laplace sur les comètes, avance l'idée que la lumière zodiacale, ce joli halo que l'on voit essentiellement aux équinoxes, est provoqué par les comètes. Il consacre tout un chapitre à cette question dans L'éternité par les astres et transmet une note à l'Académie des sciences, en 1872, sur l'origine de la lumière zodiacale.

Chapitre suivant : le problème de l'origine des mondes. Autre numéro de bravoure de la part de Blanqui. « Tous les corps célestes, sans exception, ont une même origine, l'embrasement par entre-choc, écrit-il. Chaque étoile est un système solaire, issu d'une nébuleuse volatilisée dans la rencontre. Elle est le centre d'un groupe de planètes déjà formées, ou en voie de formation. » On avait bien compris, à l'époque, grâce à la thermodynamique, que si l'on comprimait un gaz il s'échauffait. Des savants expliquaient ainsi que le Soleil brillait parce qu'il s'écroulait sur lui-même. Pourquoi pas, dit Jean-Louis Heudier. Sauf qu'un processus de ce type ne peut guère durer plus que quelques millions d'années. Et alors on ne comprend plus comment un tel soleil, qui a quelques millions d'années, peut avoir autour de lui des choses comme la Terre qui - les fossiles le disent - ont aussi plusieurs millions d'années. On sait aujourd'hui que les choses commencent par des entre-chocs, non pas entre comètes, mais entre nébuleuses, c'est-à-dire de grands nuages de gaz essentiellement composés d'hydrogène qui, quand il sont comprimés et voient leur température atteindre 15.000.000 de degrés, s'allument à travers ce qu'on appelle maintenant une réaction thermonucléaire. Ces phénomènes seront décrits plus d'un demi-siècle après. En attendant, Blanqui explique que « le rôle de l'étoile est simple : foyer de lumière et de chaleur qui s'allume, brille et s'éteint. Consolidées par le refroidissement, les planètes possèdent seules le privilège de la vie organique qui puise sa source dans la chaleur et la lumière du foyer, et s'éteint avec lui. La composition et le mécanisme de tous les astres sont identiques »

Pour finir, Blanqui essaie, -même si c'est difficile en raison du manque de données, -de proposer une vision globale de l'univers : « L'univers est à la fois la vie et la mort, la destruction et la création, le changement et la stabilité, le tumulte et le repos. Il se noue et se dénoue sans fin toujours le même, avec des êtres toujours renouvelés. Malgré son perpétuel devenir, il est cliché en bronze et tire incessamment la même page. Ensemble et détails, il est éternellement la transformation et l'imminence. » Blanqui poursuit : « Par la grâce de sa planète, chaque homme possède dans l’étendue un nombre sans fin de doublures qui vivent sa vie absolument telle qu'il la vit lui-même. Il est infini et éternel dans la personne d'autres lui-même, non seulement de son âge actuel, mais de tous ses âges. Il a simultanément par milliards, à chaque seconde présente, des sosies qui naissent, d'autres qui meurent, d'autres dont l'âge s'échelonne, de seconde en seconde, depuis sa naissance jusqu'à sa mort. »

Les choses ont bien changé depuis que Blanqui a écrit cela. On s'est rendu compte, d'une part, que les étoiles n'étaient pas partout ; elles vivent dans des paquets de plusieurs centaines de milliards d'étoiles (de soleils) qu'on appelle les galaxies. Et, d'autre part, dans l'univers, il y a plus de galaxies que d'étoiles dans une seule galaxie...  On était déjà perdu, au XIXè siècle, avec la connaissance qu'on avait alors de l'univers. Aujourd'hui, c'est bien pire...

Blanqui termine d'une manière sublime : « Tout être humain est donc éternel dans chacune des secondes de son existence. Ce que j'écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, je l'ai écrit et je l'écrirai pendant l'éternité, sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes semblables. »

Blanqui sort de son cachot au mois de novembre 1871. L'éternité par les astres sera publié en 1872.
La même année, Maxwell montre que la lumière est une onde électromagnétique qui se déplace, même dans le vide. En 1887, Michelson démontre que le mouvement de la Terre est indétectable, autrement dit que la vitesse de la lumière est invariable. Elle reste inchangée, même quand on s'en approche, contrairement au son dont la fréquence change. On sait maintenant, grâce à Einstein (années 1915-1920), que la vitesse de la lumière est une vitesse limite : rien ne peut aller plus vite que la lumière. Elle est déviée par les masses alors qu'elle n'a pas de masse. Les distances et les durées sont relatives, ce qui veut dire que l'espace et le temps sont relatifs et que la simultanéité n'existe pas. Ce qui structure l'univers c'est la lumière elle-même. On comprendra plus tard les conséquences des équations d'Einstein : l'univers, qui est un espace à quatre dimensions au moins (et non pas trois), est en expansion et sa densité décroît. Dernier développement : à 17:30 aujourd'hui a été publiée une communication sur l'existence des ondes gravitationnelles, prédites par Einstein, mais dont on vient seulement - grâce aux résultats des expériences LIGO (USA) et VIRGO (observatoire  de la Côte d'azur) - de prouver l'existence.

Jean-Louis Heudier compare, pour terminer, les représentations du système solaire de 1870 et d'aujourd'hui.
1870 : une étoile (le Soleil), 8 planètes (Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune), quelques dizaines de lunes (31), 138 astéroïdes et quelques comètes.
Aujourd'hui : une étoile (le Soleil), 8 planètes (et possiblement 9), 5 planètes naines (Cérès, Pluton, Eris, Makamake, Haumea), quelques centaines de lunes (aujourd'hui : 173), quelques millions d'astéroïdes (aujourd'hui : 701.660), quelques milliards de comètes... Et beaucoup de poussières.
La première planète tournant autour d'une autre étoile que le soleil a été découverte en 1995 à l'observatoire de Haute Provence. Aujourd'hui, on en est à 2073 planètes tournant autour de 1321 étoiles...


Beaucoup de changements, donc, et ce n'est pas terminé. La science est une aventure passionnante : plus nous faisons des découvertes, plus nous découvrons notre ignorance.
Jean-Louis Heudier, qui pense qu'il faut faire appel aux philosophes pour essayer de relativiser tout cela correctement, reprend la conclusion de sa pièce de théâtre Notre Terre qui êtes aux cieux :
« Continuons à penser et à chercher et pour cela, permettez que je vous livre ces quelques mots de mon ami Giordano Bruno : ”Les habitants des autres astres doivent, comme nous, avoir l'impression d'être au centre de l'univers. L'anthropocentrisme est une maladie engendrée par un usage naïf des sens.“ Et ce propos d’Alain, le philosophe : ”il aura fallu continuité et stabilité des institutions pour que le sens commun eût enfin une doctrine et que l'Univers se montrât à peu près sans miracle. Considérez tous ces astres et ce qu'il fallut d'observations concordantes et de calculs rapprochés des observations pour transformer ces prodiges en choses réelles dans le monde. Il fallait à Copernic, Galilée, Newton, Laplace, Herschel, Einstein et tous ces penseurs, non seulement des méthodes, des techniques et des calculs longuement élaborés, mais encore le loisir, la sécurité, et le petit boulanger à leur porte, tous les matins. C'est ainsi que tous, mes amis, chacun dans notre métier, nous travaillons à édifier cette sagesse commune qui nous permet, enfin, de nous situer dans l'univers et fait entrer le miracle dans l'ordre. Imaginons un beau mythe : la concorde chassant les dieux.” »

Jean-Louis Heudier donne enfin rendez-vous à son auditoire pour sa prochaine conférence, mardi 16 février à 18:30 à Garibaldi, sur Giordano Bruno. Conférence organisée par les Libres penseurs.

Daniel Amédro
(à partir d’un enregistrement audio et de la présentation visuelle de Jean-Louis Heudier)