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Fanny Roggolini
Angela Davis
Compte rendu paru en deux parties dans le nº 25 du Patriote (28 mars au 3 avril 2014) et le nº 26 (4 au 10 avril)
Angela Davis, l'indomptable
Les Amis de la liberté proposaient fort opportunément, le 6 mars, à 48 heures de la journée internationale des droits des femmes, une Rencontre de la Pensée Critique avec Fanny Roggolini sur Angela Davis.
Qui est Angela Davis demande F. Roggolini ? En 1969 : une femme ; noire ; intellectuelle ; communiste ...et belle. Quarante cinq ans après, universitaire en retraite, elle est toujours tout cela ; elle continue de se battre pour l'égalité entre les noirs et les blancs, entre les hommes et les femmes ; contre le système carcéral américain ; contre la peine de mort ; pour une société plus juste ; et elle reste plus que jamais une icône.
Elle est née en janvier 1944, à Birmingham, aux États-Unis (État d'Alabama). Ses parents, bien que d'origines très modestes, ont tous deux fait des études universitaires. Sa mère est institutrice. Son père va être quelques temps professeur d'histoire avant d'acheter une station service, ce qui permet à la famille de quitter les logements sociaux de Birmingham pour une maison blanche sur la colline. Ils sont les premiers noirs à s'installer là. Ils seront bientôt suivis par d'autres. Les blancs, qui voient là une invasion des noirs, commencent à quitter le quartier, et sont remplacés par des noirs. Et début 1949 - Angela a cinq ans - c'est le premier attentat contre une maison habitée par des noirs. Il y en aura beaucoup d'autres, tant et si bien que le quartier finira par être surnommé « dynamite hill » par Martin Luther King.
Ses parents sont des militants de la lutte anti-raciste et contre la violence. Ils sont tous deux membres de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). Lors des étés qu'elle passe à New York, entre six et dix ans, elle découvre une vie moins ségréguée, et n'en ressent qu'avec plus d'âpreté encore la ségrégation de Birmingham et ses humiliations quotidiennes. Pour autant, elle ne nourrit ni n'exprime le désir d'être blanche. « J'avais décidé, dit-elle, de montrer au monde que j'étais tout aussi compétente, intelligente et capable de réussir que n'importe quel blanc ». C'est son premier engagement.
École primaire et début des études secondaires à Birmingham, où elle milite pour les droits civiques. Elle ne supporte pas l'inaction, les non-dits. Déjà. À quatorze ans, alors qu'elle est acceptée dans un des établissements réservés aux noirs les plus prestigieux du pays, à Nashville, elle décide de partir pour New York, au lycée Elisabeth Irwin, réputé pour son ouverture aux problèmes de société. Dans sa classe d'histoire on parle du socialisme. Elle découvre le Manifeste communiste (« qui la frappe comme un coup de poing »), Marx et le marxisme. Elle milite au sein d'une organisation de jeunesse marxiste-léniniste nommée Advance. Elle apporte son soutien au mouvement des droits civiques. En septembre 1961, elle entre à l'Université, à New York, pour y étudier le français, et fait ainsi, pour la première fois, l'expérience d'un monde blanc. Elle fréquentera ensuite l'Université Brandeis, dans le Massachusetts, et le Hamilton College. Elle voyage beaucoup : Londres, Paris, Lausanne, Helsinki. À Paris, elle rencontre des étudiants algériens qui lui parlent des luttes anticolonialistes, et elle participe à des manifestations devant la Sorbonne.
De retour aux États-Unis, elle commence des études de philosophie avec Herbert Marcuse. Avec lui, elle aborde la philosophie marxiste comme un moyen pour comprendre l'oppression dont sont victimes les noirs. Sur ses conseils elle part à Francfort travailler avec Adorno et Habermas. Moment de savoir et de travail très intense, dira-t-elle. De militantisme aussi : elle manifeste contre l'intervention américaine au Vietnam. Elle acquière la conviction que la lutte pour la libération des noirs doit s'englober dans la lutte pour la libération de tous les travailleurs.
Elle rentre à San Diego, où Marcuse est maintenant en poste. Il accepte de reprendre la direction de sa thèse, initialement assurée par Adorno. La date charnière de l'engagement d'Angela Davis sera 1968. Cette année-là, elle devient leader du mouvement noir à l'Université de San Diego. Le 4 avril de la même année, Martin Luther King est assassiné peu de temps après avoir marché dans les rues de Memphis aux côtés des éboueurs en grève. En juillet, elle s'inscrit au Che-Lumumba Club, une section du Parti communiste américain réservée aux noirs. Elle adhèrera aussi au Black Panther Party.
Angela Davis c'est aussi le combat féministe, ajoute Fanny Roggolini. Cet aspect de ses positions vient du fait même que dans les organisations où elle milite elle se heurte au machisme des hommes. Sa situation de leader lui est reprochée. Certaines organisations théorisent même la subordination de la femme. Angela, elle, pense qu'il faut abolir toutes les formes de domination, et notamment l'asservissement de la femme noire (épouse ou mère) par l'homme noir. Par ailleurs, elle défend la contraception, l'avortement et le contrôle de leur maternité par les femmes.
En 1969, elle enseigne comme maître assistante à l'Université de Californie à Los Angeles, et ses cours ont beaucoup de succès. Elle participe activement à la vie de la communauté noire. F. Roggolini indique que cette année-là trois de ses amis sont abattus sur le campus de San Diego et souligne à quel point, dans l'Amérique de cette époque, l'engagement n'est pas seulement intellectuel : on met aussi sa vie en jeu. Dénoncée comme communiste, Angela assume et défie les autorités. Elle entre en résistance ouverte. Mais le gouverneur de Californie est un certain Reagan, et celui-ci, qui est en campagne pour sa réélection, a besoin de montrer aux blancs les plus réactionnaires qu'il s'attaque aux communistes. Il demande donc le renvoi de l'Université d'Angela Davis, qui ne devra de sauver son emploi qu'aux tribunaux : ceux-ci jugent la requête anticonstitutionnelle.
Mais Angela garde son cap obstinément. Début 1970, elle prend fait et cause pour les frères Soledad, trois noirs injustement accusés d'avoir assassiné un gardien de prison. En juin, elle est de nouveau exclue de l'Université pour des propos tenus à l'extérieur de celle-ci. En juillet, elle se rend à Berkeley pour travailler sur sa thèse. Et le 7 août sa vie bascule.
Une prise d'otages dans un tribunal tourne mal : il y a quatre morts, dont le juge, Jonathan Jackson (frère de Georges Jackson) et deux autres prisonniers. Angela Davis est accusée d'avoir fourni les armes. Conspiration + kidnapping + meurtre : c'est la peine de mort qui l'attend. Commence alors pour elle une cavale de deux mois à travers les États-Unis. Présentée comme armée et dangereuse, elle peut être abattue sans sommation. Arrêtée le 13 octobre 1971, elle découvre la situation horrible des prisonniers. Placée à l'isolement en raison de ses opinions politiques, elle fait la grève de la faim et obtient gain de cause. Elle réclame des livres. Apprend le yoga (qu'elle pratique encore). Son affaire connaît un retentissement international. Elle devient une icône. "Free Angela" fleurit sur les murs de par le monde. En France, Jean-Paul Sartre, Pierre Perret, les communistes, une foule de démocrates, de jeunes la soutiennent ardemment. Lors de son procès, elle se défend elle-même, s'insurge contre l'image d'hystérique amoureuse (de Georges Jackson) qu'on veut lui coller à la peau et impose celle de l'intellectuelle. Ses prises de parole font peur. Et le 4 juin 1972, elle sort de prison, libre et jugée non coupable.
Non coupable, libre et plus déterminée que jamais. Ses convictions, dit F. Roggolini, sont le résultat d'une résistance de tous les instants à l'oppression. Elle va entamer une œuvre théorique d'universitaire et d'écrivain à travers laquelle elle va s'attacher à comprendre les ressorts de l'oppression. Une œuvre qui est tout entière une quête de liberté et d'égalité. Elle est ainsi conduite à réévaluer très sérieusement l'héritage de la démocratie grecque qui, dit-elle, excluait de la citoyenneté la grande majorité des êtres humains, dont les femmes ; et pour laquelle les non-grecs étaient des barbares. Et la démocratie américaine ? Les noirs, par leur existence, en ont révélé les faiblesses et les limites. Existe-t-il une possibilité de liberté dans le cadre de la servitude matérielle, demande-t-elle. Elle affirme que la première condition de la liberté pour l'esclave c'est la résistance (on croirait entendre Sartre !). Quant à la philosophie, si elle ne nous dit pas comment nous devons faire pour extirper certaines violences du monde alors elle ne mérite pas le nom de philosophie. Angela Davis lutte aussi contre la peine de mort, l'incarcération à vie et l'oppression dans le système carcéral américain. Elle dénonce le "complexe carcéro-industriel" et l' "industrie du châtiment" pourvoyeuse de main-d'œuvre bon marché.
F. Roggolini rend hommage, pour terminer, au courage d'Angela Davis, à la femme indomptable. Elle s'est présentée aux élections présidentielles américaines de 1980 et 1984 comme vice-présidente aux côtés du leader du Parti communiste américain, Gus Hall. Elle n'est plus membre, indique-t-elle, du Parti communiste américain mais se considère toujours communiste. Elle a fait campagne contre la guerre en Irak. Elle soutient les victimes vietnamiennes de l'agent orange. Universitaire en retraite, elle donne encore quelques cours et pas mal de conférences. La salle, qui partage manifestement l'enthousiasme de la conférencière, applaudit quand celle-ci en termine vraiment !
Daniel Amédro
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Ouvrages d'Angela Davis traduits en français (source : Wikipédia) :
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Angela Davis parle, éditions sociales, 1971
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S'ils frappent à la porte à l'aube, Gallimard, 1972
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Autobiographie, éditions Albin Michel, 1975 ; livre de poche, 1977 ; édition augmentée d'un entretien, Bruxelles, éditions Aden, 2013
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Les goulags de la démocratie : réflexions et entretiens, éditions Au Diable Vauvert, 2006
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Femmes, race et classe, éditions des femmes/Antoinette Fouque, 2007
Filmographie :
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Angela Davis : portrait d'une révolutionnaire, Yolande Du Luart, 1971
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Free Angela Davis and All Political Prisoners, Shola Lynch, 2013