Jean-Pierre Dubois
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Pier Paolo Pasolini
Homme de lettres et cinéaste
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Rencontre de la Pensée Critique du 28 mai 2015
Jean-Pierre Dubois avoue tout d'abord qu'il a peut-être été imprudent d'intituler sa conférence « Pasolini, homme de lettres et cinéaste » car le sujet s'avère particulièrement vaste et riche tant l'œuvre de Pasolini est immense. Pasolini a fait beaucoup de choses : poésie, critique, journalisme, roman, théâtre, films, documentaires. Le tout jalonné de trente trois procès, tous gagnés.
1) Esquisse biographique
Pasolini naît en 1922 à Bologne. Sa famille change souvent de lieu de résidence car le père est militaire, mais c’est à Casarca, petit village dans le Frioul, d'où est originaire sa mère, que, enfant et adolescent, Pasolini passe ses vacances d'été. Plus tard, ce sera son paradis perdu. Études de lettres à Bologne. En 1943, le sud de l'Italie passe dans le camp allié et les allemands occupent le nord. Mussolini fonde un État fantoche dans le nord de l'Italie, la RSI, Republicca Sociale Italiana. L'époque est donc très troublée. Le jeune Pasolini, qui se trouve en Ligurie, et qui a l'âge d'être appelé sous les armes, est capturé par les troupes allemandes, mais parvient à s'échapper avant d'être jeté en prison. Il rejoint Casarca, où il reste jusqu'en 1950, date à laquelle il s'installe à Rome.
Pasolini vit à Casarca avec son frère, Guido, et sa mère. Le père, qui combat en Afrique du Nord, et qui sera fait fait prisonnier, ne reviendra au pays qu'en 1945. La tragédie fait son apparition dans la vie de Pasolini quand son frère est tué, en février 1945, dans des circonstances troubles. Pasolini consacre alors toute son énergie à son travail de professeur. C’est l'époque où il commence à découvrir son homosexualité. Impliqué, lors d'une fête de village, dans un scandale sexuel qu'on qualifiera "de jeunes gens", il s'attire un procès pour comportement immoral. Dans la foulée, il perd son poste d'enseignant et est exclu du Parti communiste. Autant de déchirements pour lui. Sa mère et lui comprennent qu'ils ne peuvent plus rester à Casarca. Ils quittent le Frioul et descendent à Rome, où un oncle propose de les accueillir. Le procès continuera en son absence et se conclura par un acquittement, mais le mal est fait. Les premières années à Rome vont être très difficiles, jusqu'à ce que Pasolini trouve un poste d'enseignant. C’est l'époque où il découvre le monde des "borgate", du sous-prolétariat de la banlieue de Rome défavorisée. Les choses changent à partir de 1954 ; elles vont vers le mieux ; mais Jean-Pierre Dubois nous laisse le soin d'étudier la suite de l'histoire. Après avoir présenté plusieurs portraits de Pasolini, il passe à la présentation de quelques personnes qui ont compté dans la vie de Pasolini.
À partir de 1954, les choses vont mieux. Sa mère et lui peuvent vivre de ses revenus. Il rencontre Frederico Fellini, le grand réalisateur, qui lui mettra le pied à l'étrier dans le monde du cinéma. Par exemple, il lui demande d'écrire certaines scènes de ses films. Fellini utilise aussi Pasolini comme expert du dialecte romain. Mais, ayant visionné les rush du premier film de Pasolini, il refuse de le financer.
Deuxième personnage important : Alberto Moravia et son épouse Elsa (puis sa compagne Dacia), avec qui Pasolini voyage beaucoup. C'est Moravia qui prononce l'éloge funèbre de Pasolini en 1975, sur la place des fleurs à Rome ; c'est aussi lui qui a préfacé beaucoup d'ouvrages posthumes.
Une femme : Laura Betti. Chanteuse, elle fera aussi du théâtre et du cinéma (elle est la servante dans Théorème, rôle pour lequel elle décroche le prix d'interprétation féminine à Venise). Après le décès de Pasolini, c'est elle qui créera le Fond « Pier Paolo Pasolini », qui finance la documentation et la recherche consacrées à l'œuvre de Pasolini.
Un jeune homme ensuite : Ninetto Davoli, qui sera le compagnon de Pasolini pendant très très longtemps, et son acteur fétiche.
Une femme encore : Maria Callas, avec qui Pasolini a eu, semble-t-il, une histoire au moins intellectuelle, amicale.
Pasolini meurt sauvagement assassiné, un jour de novembre 1975, sur la plage d'Ostie, suscitant un grand émoi dans le pays, dont la presse se fera largement l'écho. Une foule immense assiste à ses funérailles.
2) Le poète et l'écrivain
Les dictionnaires présentent presque toujours Pasolini d'abord comme un poète. Et Pasolini, de fait, a d'abord été poète ; dès son adolescence, en dialecte frioullan ; à Rome, ensuite, en italien ; il a publié une vingtaine de recueils au total, et ses poésies continuent d'être publiées régulièrement en France.
Pasolini publie en 1955 Les Ragazzi, qui connaît un grand succès. Plus qu'un roman, c'est un recueil de nouvelles qui commencent au moment du basculement de l'Italie dans la guerre en 1943 et qui se terminent au tout début des années 50. Le livre fait scandale, mais c'est un succès, et cela redore non seulement le blason de Pasolini mais aussi, et surtout, son compte en banque... En 1958, paraît la traduction française. Le succès continue, en 1959, avec Une vie violente qui, lui aussi, met en scène le monde des banlieues défavorisées. Pasolini écrira beaucoup d'autres livres, y compris des documentaires. En 1968, paraît Théorème, dont Pasolini fera un film.
3) le scénariste
Pasolini a commencé à sortir de la misère quand des gens du milieu littéraire qu'il fréquentait lui ont demandé des travaux de scénariste pour des films "ultra populaires" (ex. : "La donna del fiume", avec Sophia Loren). En 1957, Fellini l'engage dans un de ses films comme conseiller linguistique. Dans l'ensemble, toutefois, à cette époque, Pasolini fait du cinéma purement alimentaire. Il s'est rattrapé par la suite... Au total, Pasolini collabore à une douzaine de films avant de réaliser sous son propre nom, en 1961, La commare secca.
Parmi les nombreux films réalisés par Pasolini, Jean-Pierre Dubois retient (en acceptant d'avance la critique...) :
1961, Accattone (Le mendiant), avec Franco Citti
1962,
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Une vie violente
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Mamma Roma, avec Anna Magnani
1963, un petit film de 34', La Ricotta, inclus dans un film à épisodes intitulé Rogopag, réalisé conjointement par Rossellini (Ro), Godard (go), Pasolini (pa) et Gregoletti (g). L'ensemble, dit Jean-Pierre Dubois, est nul, à l'exception de l'épisode réalisé par Pasolini.
1964, L'évangile selon Saint Mathieu, le grand film de Pasolini, primé à Venise, qui reçoit le prix de l'office catholique international du cinéma.
1966, Uccellacci e uccellini (Des oiseaux petits et gros), dont la première partie est bien, mais la seconde désastreuse.
1967, Œdipe roi, avec Franco Citti et Sylviana Mangano.
1968, Théorème, avec Sylviana Mangano et Laura Betti (prix d'interprétation à Venise). Film qui n'a pas vieilli.
1969, Porcherie
1969, Médée.
Vient ensuite, en 1971, 1972 et 1975, La trilogie de la vie : Le Décaméron, Les contes de Canterbury et Salò ou les 120 journées de Sodome (son dernier film).
Pasolini fait aussi des documentaires et des films-enquête.
Parmi les livres consacrés au cinéma de Pasolini, Jean-Pierre Dubois distingue « Da Accattone a Salo'. 120 scritti sul cinema di Pier Paolo Pasolini », publié à Bologne en 1977, et « Pasolini, Portrait du poète en cinéaste », publié en 1995 par Hervé Joubert-Laurencin.
Saut de page
4) Le critique de cinéma et le critique littéraire
Sur cette facette de Pasolini, Jean-Pierre Dubois signale « Écrits sur le cinéma », paru en poche en l'an 2000, qui regroupe des critiques de films allant de 1957 à 1974, et Empirismo eretico, paru en 1972 (publié en français en 1976 sous le titre Expérience hérétique).
Enfin, en ce qui concerne le critique littéraire, on peut signaler, en mai 1975, Écrits corsaires.
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Pasolini aujourd'hui
Reste son nom, tout d'abord. Ses recueils de poèmes également : ces trois dernières années, plusieurs recueils de poèmes de Pasolini ont été publiés. En 1982, Dominique Fernandez publie Dans la main de l'ange, qu’il présente comme un roman, mais qui est en fait une biographie extrêmement précise de Pasolini, et obtient le prix Goncourt. Dans son livre, à propos des circonstances de la mort de Pasolini, Fernandez rejette la théorie du complot. À l'inverse, En 1995, Marco Tullio Giordana réalise Pasolini, mort d'un poète. Un crime italien, où il reconstitue le procès de Pino Pelosi, accusé du meurtre de Pasolini, en défendant la théorie du complot. En 2013, la Cinémathèque française a organisé une très belle exposition européenne, Pasolini Roma, dont le catalogue était magnifique. Enfin, Matera, en Italie du Sud, a un musée Pasolini.
Quelques conseils de lecture pour terminer :
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René de Ceccaty, Pasolini au cinéma, Folio, 2005
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Nico Naldini, Pasolini, Gallimard, 1991 (traduit de l'italien par René de Ceccaty)
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Dominique Fernandez,
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Dans la main de l'ange, 1982
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Le voyage d'Italie, 2004
Daniel Amédro
(d'après un enregistrement audio)
Source des illustrations : notice consacrée à Pier Paolo Pasolini dans Wikipedia.