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Robert Charvin

 

L'obsession sécuritaire

 

 

 

 

 

Compte rendu paru dans le nº 23 du Patriote (14 au 20 mars 2014)

 

De l'État social à l'État pénal

 

 

 

La conférence des Amis de la liberté, le 13 février, était assurée par Robert Charvin sur le thème de l'obsession sécuritaire. Essayons, dit le conférencier, de parler avec sérénité de ce sujet qui, spontanément, porte aux excès et aux émotions.

 

R. Charvin part de ce constat, dérangeant et évident : nous avons tous peur ! Les femmes ont peur des hommes ; les hommes des femmes ; nous avons tous peur de la maladie, des catastrophes naturelles, de la mort. En d'autres temps, on avait peur de Dieu. La peur est inhérente à la condition humaine car vivre ensemble c'est difficile. Les progrès de civilisation consistent (devraient consister), précisément, à réduire cette peur. Or, il est frappant de constater que beaucoup de responsables politiques - tels Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l'intérieur, ou Manuel Valls aujourd'hui - ne posent pas ces problèmes dans les termes complexes et amples qu'ils méritent mais développent des idées simplistes reprises à l'envi par tous les médias alors qu'un spécialiste reconnu comme Laurent Mucchielli (cf. Le Patriote nº 19 du 14 février) a le plus grand mal à se faire entendre. Enfin, dit R. Charvin, il faut aussi tenir compte du lobby sécuritaire (c'est-à-dire des entreprises qui vivent de l'obsession sécuritaire) et des médias (qui fournissent aux idées et aux entreprises sécuritaires une formidable caisse de résonance).

 

 

Deuxième série de remarques : le camp progressiste, qui - osons le dire - n'a pas le dessus aujourd'hui, globalement, dans la guerre idéologique, est particulièrement à la peine sur ces sujets ; il est sur la défensive, incessamment sommé de convaincre que ses options sont réalistes. Les politiques sécuritaires ne cherchent plus à prévenir les troubles, mais à les canaliser quand ils surviennent. Non plus maintenir l'ordre, mais gérer le désordre. On peut comprendre, certes, que la crise crée des fragilités idéologiques qui sont propices aux idées de repli et de défiance, mais cela n'explique pas tout. La vulgarité culturelle du sarkozisme, qui a systématiquement promu, sur ces questions complexes, des réponses sommaires, porte une grande responsabilité. De même les mouvements catholiques intégristes aux valeurs pétainistes et vichystes. Et la politique du gouvernement actuel, faite toute de compromissions, n'est pas pour arranger les choses. Paradoxalement, par rapport à ces évolutions, le Front national fait plus figure de réceptacle et de bénéficiaire que d'acteur, et les pourcentages flatteurs d'adhésion à ses idées que colportent les médias reflètent sans doute plutôt la conglomération d'une grande diversité de droites diverses et variées aux valeurs réactionnaires et régressives que la constitution d'un bloc politiquement cohérent.

 

À côté des peurs individuelles, il y a les peurs de masse. Les pauvres font peur ; c'est la classe dangereuse. On les repère aisément ; pas besoin d'étoile jaune. Ils suscitent la crainte, le rejet, l'hostilité. Et il est bien vrai que la pauvreté est la source fondamentale de la délinquance. Il n'y a qu'à voir les pays pauvres, où le moindre conflit civil donne lieu à des scènes de pillage et de meurtre. On a peur des Rroms, ces nomades dans une société de sédentaires. On a peur des étrangers. Il y a deux ou trois siècles on avait peur du village voisin, et rentrer dans sa campagne, tard le soir, après avoir fait ses affaires au bourg de la vallée pouvait réserver des surprises désagréables. Aujourd'hui, l'étranger vient de bien plus loin, et il est pauvre. Mais on est toujours l'étranger de quelqu'un, ce que le référendum suisse sur l'«immigration sauvage» est venu douloureusement rappeler à certains de nos concitoyens de l'est de la France. Ce rejet de l'étranger est à la source du racisme et de la xénophobie. R. Charvin en énumère les cibles successives : les juifs, les allemands (les bôches), les italiens (les niçois des premières décennies du XXè siècle en savent quelque chose), les polonais (souvent plombiers de leur état), les noirs (dont un certain Président disait qu'ils n'étaient pas entrés dans l'histoire), et aujourd'hui les arabes (arabes et musulmans par surcroit !). Chacun son tour. Demain, peut-être, les esquimaux ? Étranges étrangers ! Tous des barbares !

 

À côté de cela, bien des fléaux sociaux ne suscitent qu'une faible réprobation, ou des mobilisations isolées, quand ce n'est pas l'indifférence. Le tabac ? L'alcool ? La route ? Le traitement des déchets nucléaires ? Le réchauffement climatique ? La pollution de l'eau ? des produits alimentaires ? Bof ! Plus récemment, le scandale de la NSA : bof ! Mais le terrorisme, parlons du terrorisme ! Et on "oublie" de dire que pour atteindre dans ce domaine un nombre à deux chiffres il faut sans doute embrasser une dizaine d'années ; et peut-être un demi siècle pour un nombre à trois chiffres.

 

Qui accuser ? Les individus ? Les masses ? Certainement pas ! La clé de ces peurs se situe dans leur instrumentalisation par les dominants qui ont le plus grand intérêt à les cultiver. Car on ne peut pas être républicain, citoyen et encore moins révolutionnaire si on a peur. Il faut donc parler et encore parler de l'étranger ; répéter sans cesse qu'on lutte contre ; rendre compte sans faiblesse, par médias interposés, de tous les crimes commis. Ainsi se maintient la domination des dominés. Robert Charvin en vient alors à la question cruciale : pourquoi cette instrumentalisation par l'Etat des politiques sécuritaires ? Et voici le point : dans le contexte où, depuis plusieurs décennies, l'État social de droit (encore appelé État-providence) fait l'objet d'assaut répétés de la part de la grande finance et du CAC40, les services publics se dégradent, les biens communs vont à vau-l'eau, les inégalités se développent et se creusent, l'insatisfaction de la population va croissant. L'État se trouve délégitimé. Pour se relégitimer il va investir les questions sociétales, et en particulier les thèmes de la violence, de la délinquance, de la peur. Pas un jour sans que l'État ne sorte de sa besace une question de ce type. De suite, les grands médias se chargent d'illustrer jusqu'à plus soif la réalité du problème. Les pouvoirs publics nous assurent qu'ils en ont pris conscience et qu'ils vont le traiter. Ils font une loi ; puis une autre ; puis encore une autre. Les lois répressives se succèdent régulièrement à dose homéopathique (autant d'outils, soit dit en passant, qui pourraient servir en cas de vaste mouvement social). Dieudonné dit des horreurs dans ses spectacles ? L'occasion est bonne pour faire le dur. On passe ainsi, insensiblement, de l'État social à l'État pénal. On avance doucement, dit Robert Charvin, vers un régime d'« oppression délicate ». Quelque part, on est revenu à l'État-gendarme d'Ancien Régime. Le sécuritaire est une arme de combat entre les mains des puissants ; il permet de gouverner par la peur.

 

« Comment faire avancer les idées de progrès ? », lui demande quelqu'un dans la salle. Robert Charvin estime qu'il faut une nouvelle radicalité du type de celle que le Front de gauche est en train de construire depuis quelques années ; une radicalité qui ose dire les choses, offensive, qui tape sur la table avec de solides arguments, qui ne fait pas de cadeau au FN.

 

 

 

Daniel Amédro