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Catégorie : Blog de Robert Charvin
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POUR LA VALORISATION ET LA POPULARISATION

 

DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES

 

A.I.J.D. Paris 4-5 décembre 2015

 

 

 

CONTOURNEMENT, VIOLATIONS

 

ET IGNORANCE

 

DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES

 

 

 

 

 

Robert CHARVIN

 

Professeur Émérite à l'Université de Nice – Sophia-Antipolis

 

Coordinateur de Nord-Sud XXI

 

(ONG à statut consultatif auprès de l'ECOSOC)

 

 

 

 

La Charte des Nations Unies et ce que la doctrine juridique dominante tend à appeler le droit international « classique » sont profondément inadaptés à la mondialisation néolibérale.

 

 

 

Plus précisément tout ce qui est droit international « politique » contraignant fait l'objet de manipulations, interprétations de mauvaise foi et de violations quasi-systématiques de la part des Puissances occidentales, à l'inverse d'un droit des affaires internationales de plus en plus développé et de plus en plus impératif.

 

 

 

Cette pratique occidentale peut se résumer dans la formule : « Feu sur la souveraineté » !

 

 

 

Le principe de l'égale souveraineté des États, cœur de la Charte des Nations Unies, a pourtant plus que jamais une fonction à assumer : une certaine protection des petits et moyens États contre une vaste opération de type impérial menée par les pouvoirs privés économiques et financiers, assistés par les États occidentaux les plus puissants. Cette alliance privé-public vise à liquider l'indépendance politique, économique, technologique des autres États, non par volonté comme par le passé de conquête territoriale, mais pour éliminer tout ce qui handicape les intérêts privés qui ont besoin d'une hégémonie transnationale.

 

 

 

Cette volonté destructrice s'étend à l'ensemble des normes du droit international et des dispositions de la Charte qui trouvent peu de défenseurs. Comme le dit Roland Weyl, il convient de les « sortir du placard » grâce à une appropriation populaire. C'est en effet une arme politique sous-utilisée par les forces progressistes, ce qui permet son instrumentalisation et sa mise dans l'état comateux qui est de plus en plus le sien !

 

 

 

La doctrine dominante, constituée de nombreux juristes de cour, est largement complice, ne voyant ni violation ni dégradation tandis que les gouvernements français successifs, comme la plupart des gouvernements des différents États, se dispensent le plus souvent de faire référence à la Charte des Nations Unies. Lorsqu'ils ne la violent pas ouvertement et avec elle, les résolutions qui sont adoptées par l'Assemblée Générale mais aussi par le Conseil de Sécurité1 !

 

 

 

Cette indifférence plus ou moins hostile à la Charte s'est, par exemple, manifestée lors de la présentation devant le Conseil de Sécurité par la délégation française du projet de résolution 2249 (2015) contre Daesh. Il a fallu un amendement de la Russie pour que les références à la Charte figurent dans le texte adopté !

 

 

 

 

 

  1. Le contournement de la Charte

 

 

 

L'imaginaire politique occidental a édifié une vague « morale » internationale qui tend à se substituer à l'ordre juridique. Au nom d'une pseudo « légitimité » (largement médiatisée), de type prétendument humanitaire, le recours à la force armée, fondé sur la vieille théorie de la « guerre juste » d'origine vaticane, se banalise hors du cadre onusien.

 

 

 

L'OTAN, dont l'existence a même perdu son fondement, qui progressivement élargit son champ d'intervention, tend à se constituer en système de sécurité non multilatéral : les États-Unis y exercent l'essentiel des pouvoirs. L'Union Européenne a adopté une conception essentiellement militariste de la sécurité ; le G5, le G8, le G20 occupent une place plus déterminante que les différents organes onusiens.

 

 

 

A cet escamotage de l'ONU s'ajoutent des pratiques radicalement étrangères à la Charte et hors droit humanitaire, tels les raids ciblés effectués par des drones (plusieurs milliers d'exécutions réalisées par l'armée américaine), ou l'incarcération de prisonniers de toutes nationalités sans jugement ni contrôle (Guantanamo), ce qui est paradoxal depuis la création de la Cour Pénale Internationale (à laquelle les États-Unis se sont gardés d'adhérer). L' « exceptionnalité » étasunienne perturbe ainsi tout le système juridique international !

 

 

 

Par ailleurs, le service juridique de l'ONU avance qu'une « Déclaration » des Nations Unies, lorsqu'elle est confirmée par la revendication de la majorité des États « peut être considérée comme énonçant des règles obligatoires pour les États » (E/CN.4.1334, 2 janvier 1979, note 33)2. Or, ces déclarations ne sont aucunement prises en compte lorsqu'elles perturbent les intérêts des puissances dominantes. La Déclaration sur le Droit au développement de 1986, par exemple, fondée sur la lettre et l'esprit de la Charte, consacre les droits de l'Homme économiques et sociaux, en bouleversant la hiérarchie imposée par les Occidentaux en faveur des seuls droits civils et politiques. Le protocole du 10 décembre 2008 (la procédure de plainte auprès du Comité des droits économiques pour violation des droits économiques et sociaux) n'a pas eu grand succès, tout comme la Déclaration de 1986 elle-même. Le monde occidental poursuit en effet sa campagne au nom exclusif des droits civils et politiques, faisant de ce « droitdel'hommisme » sélectif un argument pour éliminer des régimes politiques et leurs leaders, allant jusqu'à détruire certains États, pourtant adhérant à la Charte des Nations Unies.

 

 

 

L'esprit même de la Charte est passé par pertes et profits pour certains conflits qui se prolongent depuis des décennies : l'inertie de l'ONU, en raison du blocage des États-Unis en particulier, se manifeste pour la question coréenne (alors que les Nations Unies ont une responsabilité directe dans la division du pays) ou pour l'occupation de la Palestine par Israël (en raison de l'exercice du droit de veto par les États-Unis et leurs alliés), par exemple.

 

 

 

L'ONU, totalement contournée lors de la création du Kosovo, entité artificielle fabriquée par l'interventionnisme occidental illégal, n'a eu pour réaction que de ratifier la pratique des Puissances responsables au mépris de la Charte. Elle a légitimé cet artifice en assurant un néo-protectorat, fondé sur un « remake » de la théorie de la « souveraineté limitée ». L'ONU, en dépit de l'esprit et de la lettre de la Charte, accepte la transformation des guerres civiles en guerres internationales, facilitant l'interventionnisme des Puissances sous le prétexte jamais prouvé de « menace contre la paix » internationale.

 

 

 

La Charte n'est pas prise en compte non plus lorsque les Puissances méconnaissent depuis l'origine son article 47 : le Comité d'état-major qui devait faire des forces onusiennes une authentique police internationale, n'a jamais été mis en œuvre. Cette carence permet l'instrumentalisation par les États qui en ont les moyens des résolutions du Conseil de Sécurité décidant du recours aux « casques bleus ».

 

 

 

 

 

  1. Les violations frontales de la Charte

 

 

 

Les Puissances ne se satisfont pas de contourner la Charte et l'ONU, dans certains cas, elles vont jusqu'à violer ouvertement les dispositions majeures de la Charte.

 

 

 

La doctrine juridique dominante n'utilise pas aisément le terme de violation. Elle préfère louvoyer et parler « d'interprétations souples ». Certes, le droit international n'a pas cessé d'être violé tout au long de l'Histoire, pour n'être invoqué par les États que lorsqu'il les servait. Toutefois, ces dernières années, dans le cadre de la société unipolaire euraméricaine, les violations du noyau dur du droit international, la Charte, prennent un caractère flagrant. On a bouleversé les équilibres originaires de la Charte : le Conseil de Sécurité a pris toute la place, reléguant l'Assemblée Générale, seule représentante de la communauté internationale, et tous les autres organes ; le Chapitre VI, axé sur la négociation, qui exprime la raison d'être profonde de la Charte, a été remplacé par le Chapitre VII, axé sur les sanctions ; le Secrétaire Général n'est plus qu'un agent de ceux qui ont le pouvoir de le désigner. Le Conseil des Droits de l'Homme a certes pris une place évidente dans le monde des ONG, mais ses commissions d'enquête, ses rapports ne pèsent que très modestement dans les politiques étatiques (voir, par exemple, le rapport Goldstone sur les pratiques d'Israël) et instaure une sorte de « démocratie du bavardage », dans le cadre des Nations Unies. L'usage que pourraient en faire les médias et les forces politiques est de surcroît très restreint.

 

 

 

Les résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité échappent à tout contrôle de légalité ; leur interprétation par les États relève parfois d'une parfaite mauvaise foi (voir par exemple, celle sur la Libye conduisant à l'élimination d'un régime, à l'exécution de son principal dirigeant et à la destruction de l’État). La France, la Grande Bretagne et les États-Unis ont pratiqué un véritable dévoiement du mandat accordé par le Conseil de Sécurité. Celui-ci avait appelé à un cessez-le-feu (pour les deux parties) et avait autorisé la protection des civils dans les villes « menacées » : les États hostiles au régime kadhafiste ont dévasté les infrastructures du pays pour appuyer la rébellion partie de Benghazi, ont éliminé les autorités régulières de Tripoli au mépris des populations civiles fidèles (à Syrte, Bani Walid et Sebha, par exemple). Ce qui a été réalisé sur le terrain est le contraire de ce qui avait été autorisé.

 

 

 

Un autre exemple est celui de la Côte d'Ivoire, à propos d'un contentieux électoral relevant du droit interne, qui a donné prétexte à l'ONU et aux forces locales de l'ONUCI à une assistance à la rébellion contre le pouvoir légal.

 

 

 

Peut être critiquée aussi l'interprétation abusive de l'article 51 par la France à propos de la Syrie, sur la légitime défense, ouvrant la porte à la notion absurde de légitime défense préventive déjà mise en œuvre par les États-Unis et Israël. La France et ses alliés sont longtemps intervenus contre Daesh seulement en Irak (pour protéger le régime de Bagdad installé par les États-Unis), « oubliant » Daesh présent en Syrie (dans l'espoir qu'il contribue à renverser le gouvernement de Damas, allié du Hezbollah et de la Russie). On transforme la nécessaire opération de police contre l'islamisme et son terrorisme (qui frappe essentiellement les peuples arabes) en guerre contre les États perturbant l'ordre occidental.

 

 

 

Pire encore, la reprise de la notion « d'ingérence humanitaire », née à la fin du XIX° siècle, avec les « interventions d'humanité » et en violation du principe fondamental de la Charte de non-ingérence, a ouvert la porte à des agressions armées, sous des prétextes divers. Cette forme d'ingérence s'est vue plus ou moins remplacée par « la responsabilité de protéger », justifiant la violation du principe de l'égale souveraineté des États au nom de la protection des populations civiles contre leur propre État. Les guerres civiles ont été ainsi internationalisées dès lors qu'elles avaient une orientation favorable aux Occidentaux.

 

 

 

Ces pseudo-nouveaux principes du droit international que la communauté internationale, contrairement aux prétentions occidentales, n'accepte pas comme tels, obscurcissent davantage encore le droit international au niveau de ses sources, comme de son contenu.

 

 

 

Ce confusionnisme renforce la difficulté que l'on rencontre pour le « sortir du placard » et le mettre au service des peuples.

 

 

 

 

 

  1. L'ignorance de la Charte

 

 

 

Le néolibéralisme travaille à dissocier l'économique du politique. Dans l'ordre international, les principes de la Charte de l'ONU ne sont pas pris en compte par l'OMC, le FMI ou la Banque Mondiale, qui font pourtant partie du « système » des Nations Unies.

 

 

 

Si le droit international « politique » traverse une phase de confusion profonde risquant de le liquider, ce droit international économique acquiert une force contraignante croissante (par exemple avec l'ORD, juridiction de l'OMC). Au service avant tout des pouvoirs privés transnationaux, il se constitue de plus un authentique droit des affaires internationales, détaché du droit au développement, mort-né, de tout projet social, indifférent aux intérêts populaires comme au sous-développement3.

 

 

 

Les sources de ce droit des affaires, au-delà du droit économique, sont bouleversées. Il n'est plus essentiellement le produit des États, toujours contraints à des compromis entre les intérêts contradictoires. Il est de plus en plus le fruit des grands cabinets d'affaires, associés à des représentants des grands groupes économiques et financiers4, ayant à leur service de très vastes réseaux financiers et autres. Certains sont même côtés en bourse. Leur chiffre d'affaires voisine avec le budget de certains États du Sud. Ils jouent un rôle moteur dans la production d'un droit parfaitement ajusté, notamment, en usant du « forum shopping », offrant aux entreprises et aux ministères, le « moins-disant normatif », c'est-à-dire le cadre national le plus profitable aux pouvoirs privés transnationaux. L'impact est grand sur le législateur national qui développe une « course vers le bas social » pour rester attractif.

 

 

 

Ces cabinets privés, en osmose avec les entreprises et les groupes financiers, imposent des normes standards (normes de « qualité », normes comptables, etc.) qui ont, malgré leurs aspects purement techniques, un impact économique et financier. Lorsqu'ils rédigent un contrat de portée transnationale, ils tendent à produire un contrat-type, devenant standard sur le marché concerné (par exemple, les contrats de « dette souveraine », les contrats de « prêts syndiqués », etc.).

 

 

 

Ils aident à la réalisation de « Codes de bonne conduite » donnant aux grandes firmes une légitimité peu coûteuse pour elles.

 

 

 

Il est à noter que la Commission Européenne soutient ces cabinets et leur production d' « objets normatifs non-identifiés », selon l'expression des juristes critiques belges de l'U.L.B.

 

 

 

Il y a donc complicité étroite entre les grands intérêts occidentaux, les puissances occidentales, l'Union Européenne. Ils sont devenus les « conseillers du Prince » dans la plupart des grands pays occidentaux (par exemple, aux États-Unis, le droit du Delaware (où 50% des grandes firmes américaines ont leur siège), fabriqué par ces cabinets, est souvent avalisé par le Congrès.

 

 

 

Ils exportent aussi leur production dans les petits pays allant jusqu'à vendre du « kit constitutionnel » (Bosnie, Kosovo, Somalie, Afghanistan, par exemple).

 

 

 

Ce « droit » des affaires internationales n'a aucune légitimité. Les valeurs sociales et démocratiques, si souvent mises en exergue dans le discours politique, sont totalement négligées. Le droit des Nations Unies et des Institutions spécialisées à vocation sociale (OIT, OMS, UNESCO, etc.) est nié par ce qui n'est peut-être pas même du droit, mais qui dans les faits assure la régulation effective des grands intérêts privés dominants le monde.

 

 

 

 

 

 

 

Les conclusions sont évidentes :

 

 

 

 

 

 

Le droit des Nations Unies doit devenir une arme pour le mouvement populaire et chacune de ses violations faire l'objet d'une dénonciation.

 

 

 

 

 

1Rares sont les juristes qui, comme le professeur Carlos Santulli (Introduction au droit international. Pédone. 2013), dénoncent la pratique irrespectueuse à l'encontre de la Charte des Nations Unies par les grandes puissances, en particulier celle les États-Unis : « Malgré les grandes précautions juridiques qui encadrent le recours à la force armée (Chapitre VII de la Charte), on déplore en ce début de XXI° siècle la multiplication de ses utilisations déloyales et, encore davantage, l'appel désinvolte à sa mise en œuvre par une « opinion publique internationale » qui, sous le faux nez de la volonté de « protéger » les opprimés, se complaît docilement dans les « croisades » les plus irréfléchies (p. 258).

 

2La Déclaration de 1986, largement passée sous silence par la doctrine occidentale, n'a pas été suivie d'effets.

 

3Les programmes universitaires français sont allés jusqu'à abandonner la discipline « droit du développement » et il y a disparition des manuels et publications contribuant à se promotion. En France, l'ouvrage de référence est celui de D. Carreau (Droit International Économique) axé unilatéralement sur la valorisation de la mondialisation néolibérale et sur l'intérêt des firmes et investisseurs transnationaux.

Seule « l’École belge » de droit international résiste à cette évolution.

 

4La « Cooperative Legal Service », regroupant environ 3.000 professionnels, avocats, banquiers, etc., créé en 2011 en Grande Bretagne, avec le soutien de la Commission Européenne.

En Australie, 5 cabinets de ce type ont pu entrer en bourse. Ces cabinets ont un champ d'activité d'environ 30-40 pays dans le monde.