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Catégorie : AYONS LE COURAGE DE CONNAITRE... NOTRE HISTOIRE
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Histoire

1974, « NICE-Médecin » jumelée avec « CAPETOWN -Apartheid »

 

En jumelant, en mai 1974, Nice avec Le Cap (Afrique du Sud) où sévit un racisme d’état, le maire Jacques Médecin amorce son rapprochement idéologique avec l’extrême droite. Il trouvera son épilogue « lepéniste », en avril 1990, pendant le 8° congrès du Front National.

 

Par Philippe JEROME

 

En bordure du port de Capetown (Le Cap) District Six est un terrain vague peuplé d’herbes folles mais cependant cerné par un boulevard impeccablement goudronné. Vaste comme l’Ariane à Nice, cette zone urbaine à l’abandon était autrefois le quartier le plus métissé de la capitale (législative) du pays. Il a été entièrement rasé dans les années 1960 et ses 60000 habitants déportés, loin de la ville, dans des « townships » (bidonvilles) . Ce, en application des lois fondamentales régissant l’Afrique du Sud depuis 1948, date de la prise de pouvoir par le « Parti National ». Ces lois sur la « classification de la population » ( Blancs, Noirs , Coloured, Indiens) sur « l’habitation séparée », sur «  l’immoralité » et sur la « suppression du communisme »(sic !) ont formé le socle juridique du régime politique « d’apartheid »(de « mise à part »).

Après les nombreux crimes, comme le massacre de Sharpeville en 1960, commis au nom de cette politique de « développement séparé », l’Afrique du Sud est exclue des grands organismes internationaux tels que le Comité international olympique. En 1973 une Convention internationale émanant de l’ONU qualifie l’apartheid sud-africain de « crime contre l’Humanité ». Pas de quoi décourager le président du groupe parlementaire d’amitié France-Afrique du Sud, un certain …Jacques Médecin. Le 6 mai 1974, le député-maire procède au jumelage de Nice avec Le Cap ! C’est unique au monde ! A son homologue afrikaner il déclare : « Nous avons beaucoup à apprendre de vous. Il n’y a pas dans votre pays une ségrégation correspondant à de l’esclavage, mais un développement parallèle de deux populations. La vie en Afrique du Sud mériterait d’être mieux expliquée ». Le gouvernement français ne pipe mot. Pire, en janvier 1976, Jacques Médecin, alors proche politiquement du président Giscard d’Estaing, décroche le poste de ministre du Tourisme dans le gouvernement Chirac ! En juin 1976 se déroule le massacre de Soweto : la police ouvre le feu sur une manif d’étudiants, tuant du même coup plusieurs centaines d’habitants de ce township proche de Johannesburg. Emotion immense dans le monde, le jumelage est remis en question. Mais Médecin reste ministre ( jusqu’en 1979) et déclare cyniquement à Nice-Matin : « à ma connaissance, le préfet n’a pas annulé la délibération du conseil municipal (instaurant le jumelage) » !

Bafoué par ce jumelage de la honte, l’honneur de Nice va être sauvé par une multitude de manifestations de rue organisées la plupart du temps par les Jeunesses communistes, le PCF et la CGT. Honneur sauvé aussi par le plasticien niçois Ernest Pignon-Ernest, ce jour de l’été 1974 où Jacques Médecin reçoit en grande pompe à la villa Masséna, le maire du Cap et une délégation de rugbymen, tous blancs de peau, interdits de jouer, et pour cause, partout ailleurs dans le monde. Comme le raconte Jérôme Gulon dans une courte biographie de l’artiste : « Le cortège officiel de la délégation sud-africaine doit traverser la ville et tracer un parcours de la mairie au stade (…) Se dessine alors le lieu de ton intervention. Ce parcours comme une immense feuille de papier en est le support (…) A l’outrance, à l’expressionnisme affecté, à une violence vindicative et revendicative, tu préfères la retenue et choisis de figurer la calme dignité d’une famille se tenant debout derrière des grillages (…) Tu feras appel à tes amis pour coller en une fois les centaines d’images, ne laissant pas à la police la possibilité de réduire en lambeaux leur troublante présence avant le passage du cortège ».Le collage est particulièrement spectaculaire , place Masséna , sur une palissade du chantier du parking souterrain. Ce geste d’art urbain  anti-apartheid d’Ernest Pignon-Ernest aura un impact considérable, en France et dans le monde, au point que le comité spécial des Nations unies lui demandera de poursuivre sur cette lancée en constituant un musée qui prendra le nom de « Artists Against Apartheid » (Artistes Contre l’Apartheid) ou AAA dont les clés seront remises , en 1995 , au nouveau président d’Afrique du Sud , Nelson Mandela !

Mais lorsque le jumelage est signé, le leader de l’ANC, futur Nobel de la Paix, est totalement inconnu en France à l’exception des cercles communistes. Condamné aux travaux forcés à perpétuité, il casse des cailloux depuis plus de 12 ans au bagne de Robben Island, une île désertique au large de… Capetown. Et il ne semble pas près d’en sortir ! Nous sommes en pleine guerre froide et de contre offensive néo libérale face au « péril soviétique ». L’Angleterre de Thatcher en guerre contre les syndicats et les républicains irlandais et l’Amérique de Reagan qui relance la course aux armements ( guerre des étoiles) soutiennent à tous points de vue, politique et militaire, le régime anticommuniste de Prétoria. Ce qui ne saurait déplaire à Médecin qui, avec son jumelage, apporte sa pierre à la croisade « contre les socialo-communistes ».

On comprendra toutefois, plus tard, que sa motivation ne fut peut être pas seulement idéologique. L’une des grandes arnaques du siècle, celle des « avions renifleurs » (révélée en 1983 par Le Canard Enchaîné) qui a permis à une bande d’escrocs de siphonner des centaines de millions de francs à la compagnie pétrolière Elf, passe par l’Afrique du Sud et par quelques honorables membres du groupe d’amitié parlementaire France-Afrique du Sud !(1)

Tout au long des années 1980, « Nice-Médecin » - nouveau slogan de l’association « Les amis du maire »- accroit son emprise politique sur la ville, réussissant , en 1988 à faire élire à l’Assemblée nationale l’adjoint aux sports Christian Estrosi, étoile montante du RPR de Pasqua et Martine Daugreilh, secrétaire générale de l’antenne niçoise du Club de l’Horloge, passerelle entre droite et extrême droite. Médecin qui a débuté sa carrière comme « centriste » est passé pendant ce temps de l’UDF au RPR pour finir par échouer en 1990 chez les poujadistes du Centre national des indépendants et paysans (CNIP) ! A cette époque les manifestations antiracistes et pour demander la libération de Mandela se multiplient en France et dans le monde. Elle atteignent un sommet à Nice durant le printemps 1990. A l’initiative d’Arman et de AAA, une centaine de peintres, collectionneurs et marchands d’art, après avoir boycotté l’inauguration du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain (MAMAC) de Nice, manifestent bruyamment devant le bâtiment flambant neuf. Ben arbore sur sa veste un slogan qui résume l’état d’esprit des contestataires : « Non au racisme et au diktat !». Baudoin a réalisé une affiche qui fait dire à un jeune Niçois : « J’aime ma ville mais j’ai honte de mon maire ! ».

Ce maire vient, en effet, de récidiver dans la provocation raciste et dans le mépris antisémite vis-à-vis de trois conseillers municipaux juifs, lesquels ont démissionné en apprenant que la Ville de Nice allait mettre les petits plats dans les grands pour accueillir le 8ème congrès du Front national ! L’émotion est à son comble lorsque Jean-Marie Le Pen fait savoir que l’invité d’honneur de ce congrès sera Franz Schönhuber, un ancien Waffen-SS, décoré de la croix de fer et qui a sévit en Corse. Devenu président d’un parti nationaliste allemand baptisé Die Republikaner ( Les Républicains !) il vient d’effectuer une percée électorale en Bavière. Le 31 mars, des juifs de tout le département se rassemblent place Masséna pour protester contre la présence de cet ancien nazi dans la ville natale de Simone Veil(2) Le lendemain, anciens déportés et résistants sont en grand nombre devant les stèles dédiées à Torrin et Grassi(3). A la suite de quoi, plusieurs milliers de démocrates défilent jusqu’au monument aux morts. Rien n’y fait. Le même jour Jacques Médecin reçoit en mairie Jean-Marie Le Pen, qui n’a pas renié ses déclarations de 87 sur « les chambres à gaz , point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale », et lui remet la médaille de la Ville de Nice ! En retour Le Pen apporte à Médecin le soutien des députés FN ayant dénoncé avec certains RPR, l’embargo sur les armes visant l’Afrique du Sud « ce qui pénalise nos ventes d’avions Dassault  ( pas renifleurs, NDR !) » Les deux compères se félicitent du ralliement des élus frontistes à la majorité médeciniste : le 22 mars, date avancée du conseil municipal leur permettant de participer au congrès, Peyrat et compagnie ont voté le budget primitif !

Le 1er avril, Jacques Médecin inaugure une exposition sur les dinosaures au parc floral Phoenix, tandis que s’ouvre ce congrès du FN au palais Acropolis. A l’entrée de la salle Athéna, débarrassée du moindre crâne rasé, Marine Le Pen et sa sœur Marie Caroline accueillent les journalistes et les personnalités extérieures. Les 1500 délégués, dont 500 désignés d’office, ont fait un effort vestimentaire pour apparaître comme d’aimables voyageurs de commerce en goguette sur la Côte d’Azur. Mais le masque va bien vite tomber. Lors de la première séance plénière, présidée par Jacques Peyrat, alors responsable départemental du FN, ils feront une « standing ovation » à Schönhuber. Puis ils plancheront sur le thème de « l’écologie », l’orientation politique étant ainsi définie par Le Pen : « Nous défendrons l’écologie ethnique du peuple français (…) contre le cosmopolitisme et le pacifisme, conceptions contraires aux lois de la nature ».

C’est avec ce genre « d’idée » que Jacques Médecin, dans une interview au Monde, se déclare alors « en accord à 99% » ! Dans les années 1930, son père, « républicain modéré » à ses débuts, s’était rapproché d’un parti fasciste, le PPF dont le slogan favori était « La France aux Français » avant de voter, en 1940, les pleins pouvoirs à Pétain. Ainsi le deuxième cycle Médecin qui aura duré un quart de siècle s’achève : quelques semaines plus tard, en septembre 1990, le fils du « Roi Jean » tombe de son trône politiquement vermoulu et prend le chemin de l’exil en Amérique du Sud…

  1. Entre 1975 et 1979, Elf a perdu 750 millions de francs (125 millions d’euros) en finançant, par contrats mirobolants, les essais d’un appareillage embarqué dans un Boeing, inventé par Alain de Villegas , aristocrate belge et Aldo Bonassoli ,un italien, réparateur de télévisions. Ils prétendaient ainsi avoir découvert, en Afrique du Sud, un gisement de pétrole. Grâce à M° Violet , avocat niçois, ancien du Sdece, ils avaient été introduits auprès de la direction de la compagnie pétrolière publique qui finança des forages (infructueux)dans ce pays. Selon une enquête de Jean Cosson , conseiller à la Cour de Cassation , les sommes détournées ont été versées à la société Fisalma, basée au Panama, ayant comme fondé de pouvoir M° Violet. Pour le magistrat, cette « fausse escroquerie » (Villegas et Bonassoli n’ont rien empoché) aurait servi, en partie, à alimenter une caisse noire pour la droite française.

  2. La jeune Simone Jacob est arrêtée le 30 mars 1944 à Nice puis déportée à Auschwitz. Lors du débat parlementaire sur la loi Simone Veil, le député Médecin s’est montré le plus odieux des opposants.

  3. Séraphin Torrin, cultivateur niçois et Ange Grassi, maçon toscan, résistants FTPF, arrêtés à Gattières sur dénonciation, sont pendus, par les nazis, à des réverbères près de la place Masséna à Nice, le 7 juillet 1944.